[6] La fontaine

Publié le par zverouchka

Le jeune garçon avançait vite maintenant qu’il avait enfilé ces chaussures de cuir : elles lui faisaient le pas élastique, rendant Joseph infatigable. « Des bottes de sept lieues » sourit-il.

Progresser entre les branches, les ronces et les vieilles souches  n’était pas chose aisée, mais ce n’était pas là non plus la principale difficulté. Le véritable écueil pour Joseph qui n’était pas marin, était le risque de perdre son cap. Marcher « droit devant » selon les instructions du galet était d’une difficulté proportionnelle à la simplicité de la demande. Car dans ce décor foisonnant, comment être sûr qu’il ne tournait pas en rond ? Toutes les forets du monde devaient regorger des fantômes de gens égarés refaisant éternellement le même trajet circulaire avec la certitude d’avancer…
Surprit de la rapidité avec laquelle la nuit l’avait rattrapé, le garçon prit peur. Il allait céder à l’affolement lorsque droit devant, à travers le paravent ondoyant de la végétation, ses yeux rencontrèrent le clin d’œil rassurant d’un lointain halo lumineux.
 

Autour de lui le sous-bois était dense, la terre exhalait des parfums d’humus et de fougère et ça et là, de larges trouées dans la coupole végétale inondaient le sol de lumière. La forêt, silencieuse, murmurait parfois quelque chose qui se répandait comme un écho à travers elle et alentours, pas un oiseau ne chantait. C’était comme si chacun retenait son souffle en regardant passer le petit homme. Joseph, grisé par sa liberté toute neuve ne prêtait pas attention à cet étrange silence. Le jour se mit à décliner. Dans le sous-bois les zones d’ombre s’épaissirent, la visibilité, même pour de jeunes yeux comme les siens, devint mauvaise et en quelques minutes la fin de l’après-midi s’en alla. Pour la première fois de sa vie, Joseph se retrouva confronté au soir, seul, loin de tout et sans savoir où se réfugier pour dormir. La forêt qui jusque là avait été muette, raisonnait à présent des plaintes lointaines d’animaux inconnus. Ce sous-bois dans lequel il avait cru avancer seul lorsque le soleil dominait la campagne se peuplait à présent de silhouettes furtives qui se transformaient à son approche, devenant tour à tour animaux, feuilles ou souffle de vent. 

Traversant dans un dernier élan l’amas végétal qui lui barrait le chemin, Joseph déboucha sur une clairière. Là, comme perdue au milieu de nulle part, une petite fontaine blanche juste assez large pour étancher la soif d’un homme et son cheval semblait l’attendre dans un clapotis charmeur.

Il n’en fallait pas plus pour encourager ce garçon optimiste : Joseph reprit confiance et s’avança doucement du petit édifice de pierre. 

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